La Boussole
- Lueur
- 10 déc. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 déc. 2024
Depuis la nuit des temps, les êtres humains mènent des quêtes.
Nos ancêtres étaient nomades. Beaucoup des grands récits de l’humanité reposent sur cette notion de quêtes où des personnages principaux vont traverser toutes sortes d’épreuves et de longs voyages pour atteindre un but ultime, tel Ulysse dans la mythologie grecque ou le prince Siddhartha Gautama qui deviendra Bouddha. Dans les grandes religions monothéistes aussi, les premiers textes racontent l’histoire de la quête de la Terre Promise, menée par le peuple d’Israël sur des générations.
Quels que soient les personnages, les lieux ou les époques, l’essence du récit reste la même : quitter sa zone de confort, affronter des épreuves, pour revenir transformé.
Quêtes ou conquêtes ?
À l’heure de la mondialisation et du capitalisme, les quêtes menées par les êtres humains sont goulues : pouvoir, richesses, célébrité, hypercroissance…
Nos quêtes sont devenues des conquêtes. L’une implique le déplacement, l’autre exige la prise de possession, souvent au détriment d’autrui.
L’ironie du sort, c’est qu’à force de conquêtes pour amasser de plus en plus, nous nous appauvrissons, en épuisant le vivant. Nous nous auto-sabotons.
Certes, nous pouvons éprouver de la jouissance, un sentiment intense mais bref, lorsque nous obtenons ce que nous désirions posséder, mais une fois que nous l’avons, et que l’excitation retombe, que reste-t-il ?
Internet illustre parfaitement cette dynamique. Grâce à lui, il n’a jamais été aussi facile de "faire des conquêtes". Et pourtant, jamais autant de gens ne se sont sentis aussi seuls. Les applications de rencontre exploitent notre soif de validation, nous transformant en produits jetables les uns pour les autres. Cette logique de surconsommation affecte même nos relations. Nous accumulons, nous utilisons, puis nous nous lassons.
Une quête intérieure
Et si la quête ultime n’était pas une affaire de conquête ? Et si partir, sortir de sa zone de confort, accomplir des exploits, posséder des trésors, n’étaient que des leurres de l’ego nous déviant de notre véritable raison d’être ?
Et si les épreuves et les monstres à affronter étaient en fait nous même ? Nos propres biais ? Nos propres vices ?
Et si la Terre Promise n’était qu’une parabole, une métaphore de soi ? Et s’il n’y avait pas d’autre voyage à mener que notre propre voyage intérieur, celui qui nous ramène à la conscience de soi dans le monde ?
Et si la quête ultime de l’humanité était en réalité une quête de reconnexion ? Un retour à l’harmonie.
D’ailleurs, la plupart des grands récits de l’humanité dont je vous parlais en introduction sont en réalité des quêtes spirituelles.
Dans l’odyssée d’Ulysse, il s’agit d’une quête de retour à soi. En cherchant à rentrer à Ithaque, chez lui, Ulysse va atteindre la sagesse, la maturité et éprouver toute la valeur et la préciosité de l’amour, de son foyer et de son propre soi.
Pour le prince Siddhartha, la quête intérieure lui permet d’atteindre l’éveil en prenant conscience que la libération du cycle de la souffrance passe par l’équilibre entre les extrêmes pour atteindre l’harmonie, devenir Bouddha.
Enfin, selon la Kabbale (la tradition mystique du judaïsme) la quête du peuple d’Israël pour retourner en Terre Promise serait une parabole représentant un état où l'âme est réintégrée dans son origine divine, c’est un voyage d'élévation de conscience vers un état spirituel de perfection, un retour à la source originelle, Dieu.
Ces grands récits convergent : la quête ultime est un retour à soi, une reconnexion à l’harmonie universelle. Nous ne sommes pas séparés du monde, et donc en l’abîmant nous nous abîmons nous-mêmes.
La boussole
Mais alors, comment retrouver notre chemin dans ce labyrinthe qu’est la vie moderne ? Comment se reconnecter à soi et au monde pour s’accomplir pleinement ? Comment ne plus s’épuiser à atteindre des objectifs et amasser des gains pour s’apercevoir ensuite que ça ne nous rend pas heureux ?
Déconstruire ses croyances
D’abord, nous pourrions commencer par déconstruire nos propres croyances. Je ne parle pas d’arrêter de croire. Je parle d’observer ce en quoi nous croyons aujourd’hui et d’essayer de comprendre pourquoi nous adhérons à cette croyance là.
Par exemple, une phrase qu’on entend très souvent c’est l’idée de “devenir la meilleure version de soi-même”. Comme si nous accepter tels que nous sommes maintenant n’était pas suffisant. Pas appréciable. Médiocre.
Mais.. qui peut s’épanouir en se réveillant chaque matin avec la certitude de n’être pas assez bien ? Qui peut s’aimer aujourd’hui, en croyant perpétuellement être une version médiocre de soi ?
Devenir vient du latin devenire qui signifie “aller, se rendre, arriver, parvenir, en venir à”. Donc lorsqu'on parle de “Devenir une meilleure version de soi-même”, c’est donc bien d’une quête dont il s’agit.
La plupart du temps, ce genre de croyances sont dirigées par l’ego, et nous enferment dans le cercle vicieux de la validation de soi.
Le piège de l’ego
Ok, mais qu’y a-t-il de mal à devenir meilleur ? Après tout, si je suis pauvre, inculte, en mauvaise santé et si cette quête de meilleure version de moi-même me pousse à faire carrière, étudier, faire du sport, manger sain, et que cela m’apporte finalement confiance en moi, abondance, ou encore énergie, alors quel est le problème ?
Je pense que c’est à ce moment précis que nous sommes sur le fil entre la reconnexion à soi, au monde, et le piège de l’ego. Et la différence entre les deux, qui peut nous faire basculer vers la lumière ou vers l'épuisement, est relativement subtile.
Heureusement le monde a mis à notre portée bien des outils permettant de se relier à soi et donc à Lui. D’avancer dans nos chemins de vie en tendant vers le meilleur sans se brûler les ailes pour autant.
En l’occurrence, il y en a 2 que je trouve particulièrement efficaces :
La souffrance, qui fonctionne comme une alarme, un indicateur. C’est un peu notre équivalent des voyants de sécurité sur le tableau de bord d’une voiture.
Et la joie, qui fonctionne comme une boussole.
Prenons un exemple concret. Imaginez une personne débutant un sport de combat. Quelqu’un qui va donc volontairement choisir d’éprouver la douleur physique, qui va apprendre à donner des coups et à en recevoir.
Au fil de sa pratique, cette personne va découvrir, notamment au travers de la douleur, mais aussi du dépassement de ses peurs, qu’elle est bien plus forte qu’elle l’imaginait. Elle découvrira aussi probablement l’intensité des liens humains qui se tissent sur les tatamis. Elle va peu à peu s’ancrer. Gagner en force, en puissance, en assurance, en endurance. Et ce dépassement de soi, tous ses efforts, malgré la douleur physique, lui procureront de la joie.
Cette douleur est consentie, elle fait partie du processus pour atteindre cet état de plénitude. Ce sentiment d’accomplissement, à la fin d’un entraînement intense, où le corps et l’esprit sont en symbiose, ici, maintenant, dans le moment présent.
Mais si le rythme des entraînements devenait trop pesant, les sacrifices de la pratique oppressants, que la joie laissait place au stress, que cette même personne se mettait à pratiquer la boule au ventre, qu’elle ne ressentait plus ni accomplissement ni plénitude, ce seraient là des signaux d’alertes forts, tout aussi importants que ceux de la joie.
La joie nous ancre dans l’instant présent. Lorsqu’on l’éprouve, on en savoure chaque seconde. La souffrance, elle, nous désaxe, mettant notre mental en état d’alerte permanent. Et si on reste dans le déni face à ces signaux, alors le corps prend le relais et commence à somatiser.
Dans cet exemple d’un sport extrême c’est très probablement le moment où l’on finirait par se blesser. Si c’était une souffrance au travail alors celà pourrait donner un dos bloqué, des insomnies à répétition, des maux de ventre, des pensées obsessionnelles, ou encore des signes notoires de burn out.
Si la joie nous ancre dans l’existence, la souffrance, quant à elle, nous met en garde.
La joie est une boussole
En cela, la joie est une boussole extraordinaire. Elle nous relie à nous même. À nos aspirations profondes. À ce qui nous fait vibrer. Et au moment présent.
Dans nos sociétés hyper-performantes, il est facile d’ignorer ces signaux. Tels des hamsters en cage, on court en rond dans les rouages de ce système qui nous consume, persuadés de devoir aller toujours plus vite, toujours plus loin.
À force, on perd de vue ce que nous avons de plus précieux : notre capacité à ressentir, à conscientiser notre propre existence. Et notamment ce qui nous procure une joie profonde et véritable. Non pas le frisson de l’orgueil face à la validation, ou la jouissance éphémère de la possession. Je parle ici de la joie du moment présent, celle qui fait se sentir vivant·e, ici et maintenant.
Invitation à la réflexion
Il est temps de ralentir. D’observer nos croyances, de nous reconnecter à ce qui nous fait vibrer, et de refuser le jugement, l’ego, ou la validation extérieure comme moteurs de nos vies.
Il est temps de s’autoriser à vivre pour soi. De s’écouter. Les signaux sont déjà là. Physiques, mentaux, émotionnels.
Personne ne peut le faire à notre place. C’est entre nos mains.
Et si vous ne savez pas par où commencer, consultez votre boussole intérieure en vous demandant : et moi, au fond, qu’est ce que m’apporte vraiment de la joie ?